Le dernier des mohicans

Au Salon de l'automobile de Genève en mars 1939, un cabriolet extrêmement élégant basé sur la Primaquatre Sport est présenté sur le stand Renault. La version roadster a suivi quelques temps après. Quelques mois plus tard, la Seconde Guerre mondiale éclate et la carrière commerciale de ces deux versions s'achève prématurément.

S.A.P.R.A.R. signifie Société Anonyme Pièces Réparation Accessoires Renault et est, en quelque sorte, le précurseur du département « Renault Boutique ». Par l'intermédiaire des concessionnaires Renault, la société fournissait des pièces de rechange ainsi que des accessoires, dont certains étaient achetés auprès de fournisseurs externes.

A la fin des années 1930, la société a également commencé à modifier des modèles existants. En novembre 1938, la Juvaquatre découvrable fut le premier de ces modèles.  En janvier 1939, une variante similaire de la plus grande Renault Primaquatre suivit immédiatement, alors qu’il ne restait qu'un seul modèle construit par le carrossier Pourtout.

Mais la S.A.P.R.A.R. a fait un grand pas en avant. Pourtout a été chargé de concevoir un cabriolet sur la base de la Primaquatre Sport. Pour ce faire, la société a fait appel à son propre bureau d'études, dirigé par Georges Paulin, déjà en charge de la conception des Peugeot 302 et 402 Darl'mat, également construites par Pourtout.

La première version est un cabriolet 2+2. Le roadster lancé plus tard bénéficiait de portes plus basses, et d’un pare-brise escamotable dans la carrosserie, directement derrière le tablier avant. Au total, 15 cabriolets et 9 roadsters ont été construits jusqu'au début de la guerre. Le dixième roadster a vu le jour chez Pourtout en octobre 1945.

Il n'est pas surprenant qu'il ne reste presque rien de cette petite série de Primaquatre spéciales. Pourtant il s’avère que nous avons retrouvé un survivant. En effet ce dernier est un spécimen rouge et noir qui a passé une grande partie de sa vie en Espagne. Il fait partie d’une grande collection privée appartenant à l'ancien concessionnaire Renault de Madrid, C. de Salamanca.

Lors du dernier salon Rétromobile, nous avons eu le privilège d’échanger avec Jorge Agero, le cousin de l'homme qui a acheté la voiture il y a une quarantaine d'années. Ce dernier en a fait l’acquisition car il trouvait la Renault simplement élégante et belle. "Mon oncle possédait la plus grande collection privée de voitures anciennes d'Espagne, avec pas moins de 1 200 exemplaires. La famille de ma mère a été concessionnaire Renault à Madrid, avec cinq succursales pendant trente ans, des années 50 à 80. À la mort de mon oncle, la collection a été divisée en trois. Ma nièce, l'actuelle directrice de C. de Salamanca, possède une partie de la collection dont fait également partie cette Renault Primaquatre Sport S.A.P.R.A.R. Dans cette collection on retrouve également une Renault EK et un modèle plus grand datant d'avant 1920. Il y a quelques années, une magnifique Skiff 40CV avec une carrosserie en aluminium, livrée neuve en Espagne, a été vendue ».

Jorge, cameraman de profession, est aujourd’hui responsable de la collection. La restauration du modèle présenté ici s’est étalée sur un an et demi pour s’achever en 2014. Bien qu’elle ne fut pas d’origine , la voiture a conservé sa couleur rouge et noir. Dans le cadre des recherches menées pour la rédaction d’un livre sur Darl'mat publié par l'ETAI, nous apprenons que le gendre d'Emile Darl'mat est venu en Espagne spécialement, il y a quelques années, pour voir le Primaquatre. Il n'arrivait pas à croire que la voiture existait encore… Jorge ajoute de son côté : "Alors même qu’on m'a souvent demandé s'il s'agissait d'une réplique, ce visiteur français m’a indiqué que la couleur originale de cette voiture était probablement le vert clair, teinte familière de Darl'mat. Il m'a également dit que ce devait être la huitième voiture de la série Renault de Pourtout".

Comme nous l’avons vu précédement, la voiture fait partie d'une grande collection espagnole depuis 1980 environ. Cependant cette Primaquatre semble être présente en Espagne dès 1942 environ. En effet sur le tablier avant, à côté de la plaque en forme de losange de Renault, se trouve une deuxième plaque montrant des détails concernant le premier propriétaire espagnol. Il s'appelait Emilio Carpas Gutierrez Zorilla, et vivait à Grenade, à la Vistillas de los Ángeles.  Il conduisait déjà la Renault Primaquatre avec la même plaque d'immatriculation que celle de la voiture actuelle, « M 66265 », inchangée depuis près de quatre-vingts ans ! Et Jorge insiste sur sa volonté de ne rien changé, c’est la raison pour laquelle il n’a pas voulu d’une carte grise « collection » de peur de perdre alors le numéro d'origine…

Jorge Agero ajoute que c'est la première fois que cette Renault Primaquatre Sport S.A.P.R.A.R. est exposée. « Dès que la voiture fut restaurée, j'ai envoyé des photos à Renault Classic et c'est ainsi que le contact a débuté. A notre connaissance c'est le seul exemplaire de cette série qui existe encore aujour’d’hui. Je la conduis très occasionnellement. Elle s'avère étonnamment confortable. Il faut un certain temps pour s'habituer à la grande commande qui actionne le démarreur, contrairement à la petite pédale qui était courante à l'époque. Il est également à noter la position et de la longueur du levier de vitesses. En effet ce dernier est placé très bas, près du sol. Cette position peut s'expliquer par le fait qu'avec le roadster, le pare-brise pouvait descendre dans la carrosserie, le long du tablier et que le levier de vitesses ne pouvait alors pas traverser ce même tablier à un niveau supérieur".

Le tableau de bord quant à lui est en aluminium magnifiquement usiné. Particulièrement usé il a été entièrement reconstruit lors de la restauration. A l'origine la capote avait été réalisée dans une couleur beige qui finalement ne se mariait pas bien avec le rouge et le noir de la carrosserie. C'est la raison pour laquelle la nouvelle capote fut refaite en noir. Un détail amusant, le carburateur d'origine du moteur 4 cylindres de 2,4 litres de 85 n'étant plus réparable, il a été remplacé par un carburateur Renault 4 et fonctionne à merveille.

Concernant les détails précis du véhicule, il s'agit d'une Renault Primaquatre Sport de type BDS2 de 1939 qui porte le numéro de châssis 923187 et le numéro de moteur 85105. Un coup d'œil à l'intérieur montre que tout est neuf. De la sellerie en cuir rouge à la moquette beige. Jorge montre sur les photos que la voiture avait un pare-chocs avant et arrière au moment de l'achat. Mais il s'est avéré qu'ils ont été montés plus tard en Espagne. À l'origine, cette voiture ne disposait d’aucun pare-chocs c’est la raison pour laquelle ils n’ont pas été remontés lors de la restauration. Bien qu'ils n'apparaissent pas sur les photos originales de 1939, cette voiture possède quatre orifices ronds et chromés sur le côté du capot, dans le style de la Peugeot Darl'mat 402. Ce détail était déjà présent lorsque la voiture a été achetée par la famille.

Parallèlement Jorge a fait modifier la position du volant car à l’origine il était situé si près du pare-brise en deux parties que les mains venaient à se coincer lors de la conduite.

Jorge a souhaité vivement que la Renault Primaquatre Sport S.A.P.R.A.R. soit exposée pour la première fois à Paris sur Rétromobile et il est reconnaissant à Renault Classic d’avoir accepté de présenter cette « petite voiture » avec une histoire si particulière et une si belle allure afin qu’elle brille sur le stand officiel de Renault.