Reportage

Fausse jumelle

La Renault 12 a une parente lointaine. Ce modèle, qui a été produit un peu partout dans le monde à partir de 1969, a en effet une cousine brésilienne, qui est même née un an avant elle. Mais pas sous le nom Renault. Cette cousine lointaine fut baptisée Ford Corcel.

Partenaire

En 1952, le constructeur américain Willys Overland (Kaiser) met un pied sur le territoire brésilien. La société commence par produire sur place des modèles Jeep. Le développement du marché de la voiture particulière engendre ensuite le succès de modèles plus compacts. Mais la marque américaine ne dispose en interne que de la berline Aero et de son gros moteur à 6 cylindres. Willys Overland do Brasil a donc décidé de s’associer à Renault pour conquérir le marché de la petite voiture. Cela tombe également bien pour Renault, qui cherche à l’époque un partenaire pour produire des voitures dans ce grand pays, afin d’éviter les lourds droits de douane à l’importation. De cette union est née la Dauphine, produite sur place de 1959 à 1968, à presque 75.000 exemplaires. Le marché automobile est alors en plein développement, avec des volumens en hausse. Et Willys Overland veut donc lancer un modèle situé entre la Dauphine et la Willys Aero.

Sergio Minervini

Corcel poignée de porte

Corcel coffre à bagage

Corcel bouchon de remplissage

roues à trois trous

Corcel boîte à gants

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Biscuit chinois

Il faut beaucoup d’argent pour développer cette nouvelle voiture. Le directeur William Max Pearce prend donc son bâton de pèlerin et se rend au quartier général du constructeur américain, à Oakland (Californie), pour obtenir 7,5 millions de dollars afin de lancer le « Projet M ». Il n’obtient rien et se prépare à rentrer bredouille au Brésil. Mais la veille de son départ vers le Brésil, Pearce dîne dans un restaurant chinois et ouvre un biscuit chinois portant ce message : « ouvrir un commerce est facile, le défi consiste à le maintenir ouvert ». Il décide d’annuler son vol retour et de se rendre à nouveau chez Kaiser le lendemain matin, où il obtient finalement l’argent pour développer cette nouvelle voiture. 

Ce doit être une voiture abordable et on songe donc à contacter Renault. Le constructeur français développe depuis le milieu des années 60 une voiture qui doit être lancée en 1969 et se nommera R12. La conception technique de cette voiture correspond aux attentes des acheteurs brésiliens. Et parmi les ingénieurs, Marcos Mello, de chez Willys Overland do Brasil, part en France pour plus d’un an afin de développer ce « Projet M ».

Ci-dessus, une Ford Corcel rouge quatre portes du premier type. Ci-dessous, une Renault 12 photographiée au même angle.

Des dizaines d’exemplaires

Losange Magazine s’est rendu à São Paulo, pour rencontrer Sergio Minervini, le plus grand collectionneur et connaisseur de la Ford Corcel, la voiture qui est née de ce projet M. En fait, Ford a racheté Willys Overland do Brasil juste avant que la Corcel fut lancée sur le marché. Voilà pourquoi cette voiture, développée en partenariat par Renault et Willys Overland, n’a jamais porté le nom de l’une de ces deux sociétés.

« Ma passion pour la Corcel remonte à 1978, lorsque mon père m’a offert un coupé Corcel blanc », nous dit Sergio. « La voiture n’avait qu’un an et 13.000 kilomètres au compteur. Le but était d’en faire mon moyen de locomotion durant mes études. Mais j’ai chéri la voiture dès le début et je n’ai finalement parcouru que 6.000 kilomètres à son volant en 40 ans ».

Entre-temps, Sergio a constitué une collection d’une dizaine de modèles Corcel, de tous les types de carrosseries, couleurs et millésimes. Les voitures sont stockées dans des granges à proximité de sa maison. La première voiture que nous découvrons est un exemplaire rouge à quatre portes de 1970. Le compteur n’affiche que 8.897 kilomètres et la voiture porte toujours l’autocollant du concessionnaire.

Renault 12 avec face avant WO

Corcel préserie

Corcel avec accelerateur Renault 

Plaque signalétique des premiers modèles

Indentification WO sur les fenêtres

Corcel Coupé GT

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Freins à disques

« La Corcel fut la première voiture brésilienne équipée d’origine de freins à disques à l’avant », indique Sergio. « La colonne de direction en deux parties constituait aussi une première à l’époque, de même que le système de refroidissement en circuit fermé. Le châssis, ainsi que la suspension et le groupe motopropulseur, étaient pratiquement identiques à ceux de la Renault 12, mais adaptés au réseau routier brésilien plus cassant. »   

Le nom Corcel signifie « destrier » et fait donc référence à l’univers du cheval, clin d’œil à la Ford Mustang. Les premiers exemplaires étaient animés par le moteur Renault Cléon de 1.289 cm³, produit sur place. Lors du rachat de Willys Overland, Ford n’avait pas de modèle compatible avec les attentes brésiliennes dans ce segment et le constructeur a donc décidé de poursuivre le « Projet M ».

Sergio nous démarre une de ses voitures. La sonorité est typique. Mais c’est étrange d’entendre le son de ce moteur familier habillé ici d’une carrosserie qui l’est beaucoup moins à nos yeux.

En 1973, il y eut du changement sous le capot, avec un accroissement de la cylindrée à 1,4 litre. Ce moteur Renault fiable fut produit jusque dans les années 90 et fut même livré par Ford à Volkswagen.

À gauche le compartiment moteur d'une Ford Corcel, à droite le compartiment moteur d'une Renault 12.

Style Renault

En tournant autour de la berline rouge en compagnie de Sergio, on retrouve plusieurs traits esthétiques typiquement Renault. C’est le cas des proportions générales de l’engin, mais aussi des prises d’air à l’avant, des flancs droits ainsi que de la découpe des portes et des roues. Les parties avant et arrière semblent un peu plus carrées que dans le cas de la R12. La face avant se distingue par des phares ronds avec des indicateurs de direction situés à l’intérieur de la calandre. La partie centrale en « V » de la calandre des premiers millésimes évoque aussi l’univers Renault, mais c’est en fait un détail que l’on retrouve sur beaucoup de modèles   Willys Overland. Tout comme dans le cas de la Renault 12, une nervure est dessinée au centre du capot, mais elle est ici plus large et s’étire en forme de V. Et si les fenêtres de la R12 sont entièrement coulissantes, la Corcel dispose aussi de vitres à compas dans les portes avant. Et les portes arrière sont ici équipées aussi de triangles vitrés fixes. La lunette arrière est plate et non concave comme celle de la Renault 12. Quant au capot, il s’ouvre vers l’avant sur les deux voitures. 

Jusqu’à la fin de la production dans les années 80, Ford a équipé la Corcel de roues à trois boulons. Celles des premiers modèles ressemblaient fort aux roues de Renault. Et, tout comme dans la R12, la roue de secours prend place dans le coffre en position verticale. Mais elle se situe ici à gauche et non à droite. Les enjoliveurs de roues à quatre surfaces semblent inspirés de ceux de la Renault 16, bien que ces derniers soient en fait dotés de trois surfaces. Quant au coffre à bagages, il est ici encore plus imposant que celui de la Renault 12, en raison d’un couvercle de coffre moins incliné.    

Sealed beam

La berline rouge s’équipe de toute une série d’accessoires, comme des renforts de pare-chocs ou un pare-vent sur les portières. Les papiers indiquent que ces accessoires ont été montés sur la voiture deux jours après sa livraison. Les phares sont de type « sealed beam » (feux scellés) et proviennent de chez l’équipementier américain General Electric (GE). Important pour les amateurs des premiers exemplaires du modèle, cette voiture dispose de vitres badgées du logo de Willys Overland, avec les lettres W et O. Détail amusant pour les fans de Renault : l’étiquette à l’intérieur du capot mentionnant le changement régulier des pneus est imprimée dans la police du constructeur français !

Ford a officiellement lancé la Corcel au Brésil le 26 septembre 1968, soit un an avant la Renault 12. La première année, le constructeur n’a produit que des Corcel à quatre portes. Une architecture qui n’a pas plu au grand public. Pourquoi ? Car au Brésil à l’époque, une berline quatre portes passait pour un taxi. Et les particuliers ne voulaient pas s’acheter ce genre de voitures. Le 5 janvier 1969 est lancée la production de l’exécution luxueuse, tandis qu’en avril de la même année est lancé le coupé, tant en version luxe que standard. Mais les premières livraisons ne débutent qu’en août 1969.    

Et, tout comme dans la R12, la roue de secours prend place dans le coffre en position verticale. Mais elle se situe ici à gauche et non à droite.

Belina

La gamme s’est élargie en 1970 avec l’arrivée de la version break à trois portes, la Belina, disponible dès le départ dans tous les niveaux de finition, dont l’exécution Luxo Especial à finition en bois sur les flancs et le hayon. Sergio possède aussi dans sa collection un exemplaire de ce modèle, peint dans une couleur spéciale jaune/orange très originale. Et, comme toutes ses autres Corcel, cet exemplaire est en état neuf. De toutes les Corcel, c’est certainement cette Belina qui ressemble le plus à la Renault 12, bien que le break R12 disposait de cinq portes. Et ici, la forme des vitres arrière, du hayon et de ses charnières, ainsi que des feux arrière, évoque davantage la Renault 6, modèle antérieur à la R12. Sergio nous montre une photo d’un proptotype de Belina à 5 portes, un modèle qui n’entrera jamais en production. Sur cette photo, on voit clairement que le prototype s’équipait de feux arrière de R6.

Des détails Renault clairs sur la Ford Corcel Belina.

Et en parlant de prototype, Sergio nous indique que, d’après ses sources, il y aurait eu au total sept prototypes construits de la Corcel. Le premier est celui d’une version berline et a été produit en France en novembre 1965. Cette voiture a parcouru 16.000 kilomètres pour des tests de comparaison face à une Volkswagen. Le proto numéro 2 fut aussi construit en France et est arrivé chez Willys en août 1967. Le numéro 3 est le premier modèle coupé. Il a été construit en France, tout comme le proto numéro 4, qui est arrivé chez Willys le 16 janvier 1968 et fut utilisé pour des tests d’endurance des composants. Le prototype numéro 6 est le dernier construit en France et il a été utilisé à partir du 13 février 1968 pour des tests dans la circulation urbaine. Les prototypes n°5 et 7 ont été assemblés au Brésil, au moyen de pièces provenant de France. Et à partir du mois de mars, six véhicules de préproduction ont été construits pour les derniers tests, qui eurent notamment lieu également chez Ford, à Detroit.  

Prototype Belina 5 portes

Renault 12 Break

Prototype Belina 5 portes

feux arrière de la R6

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Du charme

En parcourant la magnifique collection de Sergio, nous sommes tombés sur un superbe coupé de 1975. Un coup d’œil sur le compteur nous a stupéfié : ce dernier n’indique que… 8 kilomètres ! Sergio explique : « Cette voiture a été achetée un samedi de cette année-là chez un concessionnaire. Le client a payé comptant. Mais malheureusement, l’acquéreur est décédé le lendemain de l’achat. Et la voiture est restée gentiment stationnée dans la concession jusqu’à la faillite du garage. Lors de la vente des biens de la société en liquidation, j’ai pu acheter la voiture. »

Ford a produit la première génération de Corcel entre 1968 et 1977. La calandre en forme de « V », caractéristique typique de Willys Overland, s’est retrouvée sur les berlines, coupés et Belina produits les trois premières années.

Une vue de l'impressionnante collection de Sergio.

Roues à trois boulons

Les Brésiliens ont surtout succombé au charme du coupé à deux portes, qui s’est même décliné en version GT. Les messages publicitaires de Ford expliquaient que le sigle GT signifiait Gran Turismo et n’évoquait donc pas une voiture véritablement sportive. Les feux ronds sont restés jusqu’à la fin de la première génération, mais la partie avant et la calandre se sont déclinées en quatre variantes.

C’est en 1978 que la deuxième génération de Corcel est apparue. Elle s’habillait d’une toute nouvelle carrosserie, au style Ford. Mais sous cette carrosserie redessinée, la structure et la technique étaient toujours bien celles de la Renault 12. Cela se vérifie notamment à l’empattement de 2,44 mètres et aux roues à trois boulons. La voiture sera dans un premier temps disponible en berline à deux portes et break Belina. Puis arriveront les versions Del Rey deux et quatre portes, construites sur la même base. Ford a également lancé une version pick-up, baptisée Pampa. Suite à une collaboration avec Volkswagen, Ford a monté des moteurs VW dans certaines versions, et il a fourni en échange le fiable moteur Renault Cléon à la marque allemande. Au total, toutes variantes confondues, la Ford Corcel a été produite au Brésil à 1,4 million d’exemplaires.   

Hebe Camargo

« La Corcel est devenue un oiseau rare », nous dit Sergio. « Il y a quinze ans, plus personne ne voulait de cette voiture et beaucoup d’exemplaires ont donc disparu. » Mais Sergio, lui, avait déjà protégé le modèle dans sa propriété. Et sa collection comprend plusieurs exemplaires très particuliers. Comme ce coupé rouge de première génération, qui a appartenu au mari de la célèbre chanteuse brésilienne Hebe Camargo. Ou cet autre coupé rouge acheté à un fermier qui avait parcouru près de 280.000 kilomètres à son volant. Mais ça ne se voit pas, car comme toutes les voitures de la collection, ce modèle est dans un état impeccable.  

Après plusieurs heures de visite, nous avons dû dire au revoir à un homme tout aussi charmant que sa collection, que nous avons pris beaucoup de plaisir à découvrir.

En détail

Ford Corcel (berline, 1968)


Moteur:
4 cylindres en ligne, 8 soupapes, cylindrée 1.289 cc, taux de compression 7,8:1. Puissance 68 (DIN) cv à 5.200 tr/min, couple 97 Nm à 3.200 tr/min.
Transmission:
Quatre vitesses avant et une marche arrière. Rapports 1ère - 3,61, 2ième - 2,27, 3ième - 1,48, 4ième 1,03, marche arrière 3,06. Vitesse maxi 129 km/h, accélération de 0 à 100 km/h à 23,6 seconden. Pneus 645 x 13 (Pneus radiaux en option).
Suspension:
Avant indépendant avec ressorts hélicoïdaux et barre stabilisatrice, arbre rigide arrière avec ressorts hélicoïdaux.
Dimensions/Poids:
Longueur 4,400 mètres, largeur 1,610 mètre, hauteur 1,420 mètre, empattement 2,440 mètres, garde au sol 0,170 mètre. Voie avant 1,310 mètre, arrière 1,280 mètre. Poids: 930 kg. Coffre à bagage: 458 litres. Capacité du réservoir 47 litres.

Une photo unique s'affiche

Cette photo d'un des prototypes de la Ford Corcel, nous l’avons reçue d'Agnès Loubet-Daniel. Elle est restée avec ses parents au Brésil en 1968 et 1969. Son père, André Daniel, a travaillé au département de développement de Renault sur la Corcel et s'est rendu au Brésil pour les derniers essais et le lancement de la voiture, même si cette berline quatre portes était commercialisée sous la marque Ford.

Agnès a fouillé dans l'ancien album de famille et a trouvé plusieurs photos, dont l'un des sept prototypes. Sur la droite de la photo, avec un appareil photo à la main, se trouve son père. D'autres photos montrent la concertation entre les ingénieurs, prises avec certitude dans l'établissement qui sert d'arrière-plan sur cette photo. L'équipe aura sans aucun doute apprécié le déjeuner là-bas.